Tribune paru le 1e juin 2021 sur le site Reporterre
Le nucléaire pour sauver le climat ? Le croire est au mieux une illusion techniciste, au pire une terrible hypocrisie.
Si la filière nucléaire tente plus que jamais de se repeindre en vert, cela n’a rien d’un souci sincère ou vertueux. C’est le fruit d’un choix stratégique et foncièrement politique. La filière sait qu’elle joue sa survie en vantant ses faibles émissions de CO2, au moment où des centaines de milliers des personnes ont repris la rue le 9 mai dernier pour dénoncer l’inaction climatique du gouvernement et le sabotage des propositions de la Convention citoyenne pour le climat. Acculée après la faillite d’Areva, le scandale Uramin et les déboires d’EDF sur ses chantiers de construction d’EPR, elle a trouvé dans l’argument climatique le nouveau moyen d’assurer sa pérennité et son emprise.
Le spectacle a de quoi être déconcertant. Alors que le mouvement écologiste s’est construit dans les années 1970 en France contre l’essor de l’industrie nucléaire, nous voyons cette dernière tenter aujourd’hui d’investir nos terrains de lutte. L’offensive est générale. Elle se fait à grands coups de campagnes publicitaires avec le soutien de plusieurs élus et d’influenceurs et d’attaques virulentes sur les réseaux sociaux contre les critiques de l’énergie nucléaire. L’enjeu est de taille : tenter de faire basculer l’opinion publique pour rendre acceptable la construction de nouveaux réacteurs, en utilisant comme fer de lance leurs faibles émissions de CO2.
Face à l’incendie climatique, Emmanuel Macron préfère allumer des contre-feux et fait comprendre depuis des mois son intention de relancer l’industrie nucléaire. En faisant diversion avec le nucléaire, le gouvernement cherche à diviser les forces au sein même du mouvement social et du mouvement écologiste.
Une technologie lente, vulnérable, polluante et chère
Mais nous, associations, organisations, collectifs ne sommes pas dupes. Nous luttons pour le climat et contre le nucléaire parce que nous savons que cette technologie et le modèle qui l’accompagne n’est pas une solution valable pour faire face aux urgences climatiques, sociales et démocratiques.
- Elle est trop lente pour faire face à l’urgence climatique. Nous devons réduire drastiquement nos émissions de CO2 à l’horizon 2030 : comment peut-on envisager de miser sur une technologie aux chantiers lents et sujets à des retards chroniques, comme le prouve l’EPR de Flamanville qui cumule déjà onze ans de retard et aura nécessité au minimum seize ans de construction ? Et ce n’est pas un cas isolé : sur 52 réacteurs en construction dans le monde, 33 ont dépassé les délais initialement fixés.
- Elle est trop vulnérable face au changement climatique. D’ores et déjà, en été, de nombreux réacteurs doivent s’arrêter ou réduire leur puissance pour éviter de réchauffer encore plus des cours d’eau en souffrance. Et en période de stress hydrique, où trouver l’eau nécessaire au refroidissement sans entrer en concurrence avec d’autres usages ? Avec la montée du niveau des océans, comment construire des centrales sur des littoraux ?
- Centrale nucléaire de Belleville (Cher), en 2006. Wikimedia Commons/CC/Panelfestoon
- Elle est extrêmement polluante. Réduire ses impacts environnementaux à ses seules émissions de CO2, c’est se voiler la face sur la pollution des mines d’uranium, qui contamine des territoires entiers. À l’autre bout de la chaîne, des centaines de milliers de tonnes de matières et déchets radioactifs s’accumulent dans des hangars, dans les sous-sols et débordent bientôt des piscines. Les pires déchets ultimes, radioactifs durant des centaines de milliers d’années, n’ont aucune solution de gestion satisfaisante à ce jour, ni à Bure, en France, ni ailleurs. On ne peut pas vouloir sauver le climat dans les dix prochaines années en léguant aux générations futures des déchets radioactifs pour cent mille ans. Et que dire de la pollution des terres en cas d’accident ?
- Elle est trop chère : depuis plusieurs années déjà, le coût de l’énergie nucléaire (en hausse) est bien supérieur à celui des énergies renouvelables (en baisse constante). Les dizaines de milliards investis dans le nucléaire ne le seront pas dans les énergies renouvelables ou la rénovation thermique des bâtiments : le nucléaire verrouille toute possibilité d’une transition énergétique systémique, alors que des scénarios avec 100 % d’énergies renouvelables sont crédibles ; même l’Agence internationale de l’énergie (AIE) et le Réseau de transport d’électricité (RTE) le disent dans leur dernier rapport.
« Nous ne choisirons pas entre la peste et le choléra »
En dépit de l’opération de séduction agressive qu’elle mène sur le thème de « l’énergie décarbonée meilleure amie du climat », l’industrie nucléaire n’est pas à la hauteur ! Nous ne sommes pas dupes de cette manœuvre. Nous refusons le chantage malsain entre risque climatique et risque nucléaire. Nous ne choisirons pas entre la peste et le choléra. Le monde que porte en lui le nucléaire est inconciliable avec toute forme de transition écologique réelle. Le nucléaire n’est d’ailleurs pas seulement une énergie, c’est un ordre social et économique fondamentalement autoritaire.
Cela fait plus de cinquante ans que nos aînés le disent. Certains comme Vital Michalon ou Fernando Pereira l’ont même payé de leur vie. Partout où il s’impose, l’atome est incompatible avec la démocratie. Il s’étend par la violence et méprise les opinions des populations. Encore aujourd’hui, la manière dont le nucléaire continue de s’implanter en France est inadmissible.
- Manifestation à Nancy contre le projet Cigéo à Bure, en septembre 2019. © Franck Depretz/Reporterre
À Bure, contre le projet de poubelle nucléaire, les militant·e·s subissent une répression brutale, indigne d’un État de droit. Des séries de perquisitions ont été menées, des manifestations ont été interdites et sept militant·e·s passeront en procès les 1, 2 et 3 juin pour « association de malfaiteurs ». Ils risquent plusieurs années de prison alors que leur dossier judiciaire est vide, comme l’ont révélé plusieurs enquêtes journalistiques. Le 29 juin, trente-quatre activistes de Greenpeace doivent être jugés à Valence pour le démontage symbolique de la centrale de Tricastin. En 2020, des dizaines d’activistes climatiques ont été poursuivis par un bureau de lutte antiterroriste pour avoir décroché symboliquement des portraits de Macron.
Lutter contre les changements climatiques et contre le nucléaire, c’est se battre pour dépasser un système productiviste, extractiviste et néocolonial, où le mythe de « l’énergie bon marché » s’accompagne du pillage des ressources et de la dévastation des écosystèmes et des sociétés des pays des Sud et des zones vues comme « périphériques ». Total s’arrange avec la junte militaire en Birmanie, Orano fait son business au Niger et des délits d’initiés en Namibie avec Uramin.
Sortons de l’ambiguïté : en finir avec le nucléaire, énergie du vieux monde, est une condition pour aller vers des scénarios de transition écologique, énergétique et démocratique profonde et construire des futurs désirables.
SIGNATAIRES :
Greenpeace, Alternatiba, Les Amis de la Terre France, ANV–COP21, Attac France, France Nature Environnement, Réseau Action Climat, Solidaires, Fondation Danielle Mitterrand, Coordination Stop Cigéo, NDDL Poursuivre Ensemble, Réseau Sortir du nucléaire, Virage Énergie, SDN 27, SDN 49, SDN Berry-Puisaye, Alofa Tuvalu, collectif Alarme nucléaire de l’Orléanais, Attac Nîmes, Mouvement Résilience.