Répondre aux idées reçues autour de la sobriété
Afin de répondre aux préjugés et idées reçues autour de la sobriété nous avons élaboré un contre-argumentaire sous la forme d’une foire aux questions.
"La sobriété c'est encore demander des efforts aux gens alors que l'État et les politiques ne font rien".
- Il faut d’abord clarifier : non, la sobriété n’est pas une injonction générale aux écogestes. La sobriété consiste justement à revoir, grâce à des politiques publiques, l’organisation collective de nos modes de vie pour réduire nos consommations de ressources naturelles en adoptant des changements de comportement au niveau individuel et collectif.
- La sobriété est une équité : elle tient compte de la diversité des contextes sociotechniques pour faire en sorte que chacun-e puisse adopter des pratiques vertueuses en fonction de ses moyens.
- Exemple concret : enjoindre à des ménages de cesser de prendre leur voiture alors qu’ils sont déjà contraints de se loger en périphérie d’une métropole en raison du coût du logement et qu’aucune alternative viable n’est disponible pour se déplacer (transports collectifs, mobilité active) est effectivement une violence symbolique. Porter une politique locale de sobriété consiste justement, pour la collectivité, à faire sa part en proposant des leviers d’action à ces ménages. Par exemple, en installant des arrêts de transports collectifs ou en construisant des pistes cyclables.
- L’adoption d’écogestes n’est donc qu’une dimension partielle de la sobriété. La notion de sobriété s’inscrit d’ailleurs contre cette idée que la somme des bonnes volontés individuelles suffira à lutter contre le dépassement des limites planétaires, ce que confirme d’ailleurs une étude de Carbone 4[1] et un article publié dans Climate Policy en 2018[2]
[1] Dugast, C. & Soyeux, A. (juin 2019). Faire sa part ? Pouvoir et responsabilité des individus, des entreprises et de l’Etat face à l’urgence climatique. Carbone 4
[2] Moran, D., Wood, R., Hertwich, E., Mattson, K., Rodriguez, J. F., Schanes, K., & Barrett, J. (2020). Quantifying the potential for consumer-oriented policy to reduce European and foreign carbon emissions. Climate Policy, 20(sup1), S28-S38.
"La sobriété est une violence pour les personnes précaires" / "On ne peut pas demander à des personnes en situation de précarité d'être sobres"
Attention, la sobriété n’est pas un synonyme de précarité ou de pauvreté énergétique, elle est un antonyme.
- La sobriété est un moyen de faire converger les consommations d’énergie et de ressources vers un niveau soutenable individuellement (dignité) et collectivement (limites planétaires), pas de les faire baisser toutes de manière identique.
- Mener une politique de promotion des écogestes indiscriminée, ce qui n’est pas de la sobriété, contribue à masquer les inégalités écologiques. Cela met de côté le fait que les consommations d’énergie et de ressources, donc les émissions de gaz à effet de serre, sont liées au niveau de revenus. De nombreuses études, notamment celle du CITEPA, publiée en septembre 2023, démontrent bien que les riches polluent statistiquement davantage que les pauvres[1].
- De nombreux travaux sociologiques, notamment ceux de Jean-Baptiste Comby pointent même qu’en dépit de leurs contribution réduite à la crise écologique, les plus précaires ont un taux « d’effort environnemental » proportionnellement plus important que les hauts revenus[2]. Autrement dit, les politiques publiques les mettent davantage à contribution alors qu’ils ont moins d’impact.
- Face à ce constat, la sobriété est un moyen de réduire le poids des inégalités socioéconomiques donc un moyen de lutter contre la précarité. Comment ?
- Étant donné qu’une démarche de sobriété passe par la hiérarchisation des besoins à l’origine des consommations d’énergie et de ressources, elle conduit à identifier ceux qui sont prioritaires. En clair, les besoins fondamentaux.
- Des ménages qui ne parviendraient pas à satisfaire ces besoins fondamentaux, ne seraient pas en situation de sobriété mais bien de pauvreté, ce qui n’est pas souhaitable.
- Par conséquent, engager une politique de sobriété pour réduire les consommations d’énergie et de ressources ne veut pas dire les réduire pour tout le monde, cela signifie les diminuer pour ceux qui le peuvent et les augmenter pour les plus précaires.
- En clair, la sobriété implique un partage plus juste de l’énergie et des ressources. Elle permet un recentrage collectif autour de la satisfaction des besoins fondamentaux, elle ne nie pas ces besoins.
- Une manière simple et visuelle de représenter la contribution de la sobriété à la justice sociale est la théorie du doughnut proposée par l’économiste Kate Raworth[3]. Le doughnut représente un espace « sûr et juste pour l’humanité » où l’économie respecte un plancher social (satisfaction des besoins fondamentaux) et un plafond écologique (limites planétaires).
[1] CITEPA & ABC (2023). Répartition de l’empreinte carbone des Français – Communiqué de presse & Dossier de presse.
[2] Comby, J. & Malier, H. (2021). Les classes populaires et l’enjeu écologique : Un rapport réaliste travaillé par des dynamiques statutaires diverses. Sociétés contemporaines, 124, 37-66.
[3] Raworth, K. (2017). Doughnut economics: Seven ways to think like a 21st-century economist. Chelsea Green Publishing.
"La sobriété, c'est le retour à la bougie"
- La sobriété peut conduire à utiliser des dispositifs low tech plus rustiques mais elle ne suppose pas de renoncer à l’éclairage électrique, loin de là !
- Pour autant, oui, la sobriété vient questionner la place de la technique et de l’innovation dans nos modes de vie : quels besoins méritent d’être couverts par l’automatisation ? Dans quels secteurs faut-il encourager des logiques d’innovation ? Jusqu’à quel point les gains technologiques ont-ils du sens ? Les débats autour des OGM ou de la 5G illustrent bien la politisation de l’innovation qui n’a jamais été une évidence pour le public[1].
- En résumé, il n’y a rien de naturel à l’innovation, rien d’inné. Tenter d’améliorer des procédés techniques pour en augmenter l’efficacité est un choix.
- La sobriété ne va donc pas contre l’innovation mais pour un choix éclairé en matière d’innovation. L’idée est que l’innovation soit le fruit d’une délibération qui fasse dialoguer les avantages et inconvénients d’un nouvel objet technique au regard des limites planétaires.
[1] Jarrige, F. (2016). Technocritiques: du refus des machines à la contestation des technosciences. La Découverte.
"La sobriété, c'est un renoncement"
- Avant tout chose, il faut rappeler que les sociétés industrielles ont déjà renoncé, plus ou moins consciemment, à de nombreuses pratiques (ex : se baigner dans un cours d’eau sans craindre de pollutions), paysages (ex : bocages) ou écosystèmes (ex : zones humides).
- La sobriété implique effectivement de renoncer à certaines pratiques ou certains modes de vie mais pas à tous : chacun-e garde la main.
- La sobriété consiste à passer en revue ses besoins pour mettre de côté l’accessoire et conserver l’essentiel. Autrement dit, cela signifie identifier les pratiques auxquelles nous tenons et auxquelles nous ne voulons pas renoncer, et celles qui peuvent être abandonnées.
- La chance des générations bretonnes actuelles, c’est de pouvoir encore choisir ce à quoi elles renoncent. Ailleurs en France[1] et plus généralement dans l’ensemble du bassin méditerranéen[2], certains territoires doivent déjà se décider dans l’urgence, l’intensité des sécheresses contraignant les pouvoirs publics à organiser la réduction des consommations sans délibération démocratique préalable.
- Ne pas renoncer à certaines pratiques énergivores et carbonées maintenant, c’est se condamner à renoncer à la plupart d’entre elles demain.
- Ainsi, très concrètement, chacun-e a une marge de manœuvre : des personnes peuvent être très attachées à la consommation de viande et ne pas souhaiter la supprimer mais seront prêtes à vendre leur voiture pour privilégier l’auto-partage. Pour d’autres ce sera l’inverse. Il n’y a pas de règle universelle !
- Le rôle de la collectivité est de permettre à la population de prendre ses décisions de renoncement sans être pénalisée. Ex : une personne souhaitant devenir végétarienne qui serait empêché d’adopter ce régime alimentaire à cause des menus de la restauration collective.
[1] Foucart, S. (29 décembre 2023). En 2023, une sécheresse sans fin dans les Pyrénées-Orientales in Le Monde.
[2] Valo, M. (18 mars 2024). Une sécheresse critique s’installe durablement dans le bassin méditerranéen in Le Monde.
"La sobriété est une perte de confort"
- Le confort désigne, au sens du Larousse, « [l’]ensemble des commodités, des agréments qui produit le bien-être matériel ».
- Indéniablement, si l’on entend, à l’image de Stefano Boni[1], le confort comme un mode de vie dénué de toute forme de contrainte, de fatigue ou d’effort, cela ne correspond pas au projet de société associé à la sobriété: comme la technique prend moins de place dans les modes de vie sobres, les individus font davantage d’efforts pour répondre à leur besoin.
- Cependant, les co-bénéfices de la sobriété sont si nombreux qu’ils peuvent contrebalancer cette perte de confort: meilleure qualité de vie, économies financières, lien social…
[1] Boni, S. (2022 [2016]). Homo comfort. L’échappée.
"La sobriété, c'est ennuyeux"
- La sobriété suppose une multitude d’activités stimulantes qui impliquent généralement du lien social ou une activité physique accrue.
- Par exemple, réparer de l’électroménager défectueux dans un atelier partagé est l’occasion de rencontrer de nouvelles personnes et de gagner en autonomie, même si cela prend plus de temps que de racheter directement un objet similaire. Faire du vélo est plus fatiguant et moins confortable que de prendre la voiture mais les gains sur la santé globale sont sans commune mesure.
"La sobriété, c'est dogmatique, ça nous est imposé"
- On ne fait pas de la sobriété par gaieté de cœur mais bien parce que nous avons dépassé 6 des 9 limites planétaires[1]. Elle n’est pas le résultat d’un dogme ou d’une croyance.
- Pour autant, la sobriété doit être volontaire et organiséepar les pouvoirs publics : elle ne doit ni être la simple somme des bonnes volontés individuelles ni être la conséquence d’une règle imposée par un seul. Elle doit résulter de choix collectivement consentis.
- Le fait que la sobriété conduise à instaurer des contraintes qui s’appliquent équitablement à toute une population (ex : frais de stationnement, restrictions de circulation…) ne constitue pas une atteinte à la liberté individuelle dès lors que ces contraintes sont le fruit d’une délibération démocratique.
- S’il peut paraître délicat de s’auto-réguler en fixant des limites à nos comportements individuels, ce n’est pas quelque chose de nouveau dans l’histoire politique française. L’Etat a fixé des plafonds de vitesse sur les routes pour réduire la mortalité routière et a interdit de fumer dans les lieux clos pour des raisons de santé publique. Ces restrictions sont rentrées dans les mœurs car elles visent l’intérêt général.
[1] Richardson, K., Steffen, W., Lucht, W., Bendtsen, J., Cornell, S. E., Donges, J. F., … & Rockström, J. (2023). Earth beyond six of nine planetary boundaries. Science advances, 9(37), eadh2458.
"La sobriété, les Français.es ne voudront jamais"
• Comme le montrent les travaux de la Convention Citoyenne pour le Climat, la sobriété apparaît comme une évidence et est accepté à la stricte condition que les enjeux climat-énergie soient compris et que les solutions soient co-construites avec les populations.
• La sobriété ne pourra pas être consensuelle au sein de la société si elle semble imposée par des autorités supérieures.